Tic, tac, tic, tac… Le bruit régulier du réveil emplit la chambre silencieuse et plongée dans l’obscurité. Comme souvent, ces derniers temps, Galen Cartwright vient de se réveiller d’un horrible cauchemar, l’un de ceux qui ont l’air tellement réels. Sans doute parce qu’ils l’avaient été un jour. Il se glisse hors de son lit, suscitant un air vaguement intéressé de la part de son chien, lequel a tôt fait de se rendormir quasiment aussitôt. De toute évidence, son maître n’est pas en danger de mort, il a simplement décidé de quitter ses draps prématurément. Tant mieux pour lui… semble dire l’animal en soupirant lourdement, presque agacé. Galen, lui, est déjà dans la salle de bains, se passant de l’eau fraîche sur le visage. Son regard glisse en direction de la bouteille de whisky, bien en évidence sur le bureau et, avant même qu’il ait pu y songer, il se retrouve devant le meuble, ses doigts suspendus, semblant hésiter à s’en saisir. Mauvaise idée… Il savait bien dans quels états l’alcool avait tendance à le plonger, au milieu de quel brouillard il se levait le lendemain matin mais, parfois, il était bien incapable de raisonner clairement. Il ferme les yeux quelques secondes mais, derrière ses paupières closes, tout ce qu’il parvient à voir, c’est l’expression douloureuse sur le visage de sa femme, dix ans plus tôt, alors qu’elle rendait son dernier souffle dans ses bras, frappée par l’un des démons à la solde de Valentin Morgenstern. Il rouvre brusquement les yeux, le souffle court, cherchant à faire disparaitre cette image qui ne cessait pourtant de s’imposer à son esprit, encore et encore. De la torture, tout simplement… Il n’avait pas souffert autant, la dernière fois qu’il avait bien failli mourir lui-même, et ça n’était pas si vieux, dans ses souvenirs. Parfois, il pouvait encore sentir la poigne du démon sur sa nuque alors qu’il tentait consciencieusement de le noyer dans un baril d’eau de pluie. Il se réveillait encre en sursaut, le souffle court et la gorge douloureuse, comme s’il venait vraiment tout juste de se sortir d’une noyade. Ses doigts retombent lentement le long de sa cuisse, renonçant à l’alcool pour ce soir, preuve qu’il était bien plus raisonnable que ne l’aurait été n’importe quel homme. Galen était passé par trop de choses pour une vie encore aussi courte mais, en même temps, cela n’avait rien de surprenant en raison de sa condition de Néphilim. Perdre des gens qui leur étaient proches, frôler la mort quotidiennement pour protéger une race qui ne savait rien d’eux et qui avait parfois vocation à s’auto-détruire, était le lot de tous les chasseurs d’ombres. Il en était conscient et il l’acceptait complètement ; il aurait juste voulu être le premier à partir. Ne pas voir ces visages tant aimés s’effacer devant ses yeux. Parfois, il lui semblait presque qu’il n’arriverait plus jamais à se souvenir du visage de sa femme et puis elle réapparaissait dans ses cauchemars. Elle n’était jamais heureuse, dans ses songes, toujours triste ou en souffrance, voire mourante, preuve que sa vie n’avait été que souffrance. En sus de ça, elle avait épousé, par amour, un homme qui n’avait même pas été capable de la protéger… Il visitait régulièrement la Cité des Os de Londres, juste pour s’excuser auprès d’elle de n’avoir pas été à la hauteur. Il inspire profondément, conscient que s’accabler encore et encore n’était pas la solution. Décompresser, c’était sans doute tout ce dont il avait besoin. Retournant en direction de sa chambre, il fouille dans la poche de son pantalon pour en extirper son téléphone portable, composant par cœur, le numéro de Kylian. Il avait bien besoin de son parabatai, là, tout de suite, pour lui remonter le moral, lui raconter une connerie stupide dont il avait le secret, qui le ferait sourire et qui lui mettrait du baume au cœur. Les sonneries résonnent, lentes, chacune d’elles le faisant sombrer un peu plus dans cette apathie dangereuse. « Décroche… S’il te plait, décroche… Décroche, décroche… » supplie-t-il à voix basse, mais c’est le répondeur de Kylian qui s’enclenche alors qu’il raccroche, agacé. Pourquoi son parabatai n’était-il jamais là quand il avait besoin de lui ? Pourquoi le jeune Carstairs ne semblait pas prendre ça au sérieux une seule seconde quand, lui, il aurait donné dix fois sa vie pour lui ? La colère, le chagrin et le sentiment d’abandon provoquent chez lui une sorte de paranoïa injustifiée dans laquelle Kylian n’en aurait rien à foutre. Bien sûr, demain matin, il aurait tout oublié mais ce soir, il n’avait que ça en tête. Envoyant son téléphone voler contre le mur, de rage, il retourne aussi sec dans le bureau, se saisissant de la bouteille de whisky et en buvant une longue rasade, puis une autre et finalement une autre de plus. Il le regretterait demain, c’était certain. Mais demain n’était pas encore là…